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Les infirmières à l’honneur à Singapour

Postée le 30/09/2019

Congrès International

Les infirmières à l’honneur à Singapour

Le Conseil international des infirmières s’est réuni fin juin à Singapour pour fêter son 120e anniversaire. Plus de 120 pays ont participé à son congrès qui avait pour thème “Au-delà des soins, vers la santé”. Durant cinq jours, plus de 5 000 infirmières ont pu échanger autour du leadership, de la pratique avancée, de la fidélisation des personnels de santé et de la qualité et de la sécurité des soins. Des débats passionnants et passionnés.

Pour son 120e anniversaire, le Conseil international des infirmières (CII) a organisé son congrès biennal, du 27 juin au 1er juillet 2019, à Singapour. La thématique était “ Au-delà des soins, vers la santé” en lien avec l’accès universel à la santé et le rôle des infirmières sur les déterminants sociaux de la santé tels que l’éducation, l’égalité entre les sexes et la lutte contre la pauvreté. Ce congrès a réuni plus de 5 000 infirmières issues de 120 pays dans le monde. Lors de la cérémonie d’ouverture du congrès, Mme Halimah Yacob, présidente de la République de Singapour et invitée d’honneur, a rendu hommage aux infirmières : « Si vous sauvez une vie, vous êtes un héros, si vous sauvez 100 vies, vous êtes une infirmière.» Annette Kennedy, présidente du CII, a évoqué l’importance de l’équité entre les sexes, notamment pour les femmes. Pour elle, il faut améliorer les conditions de travail des infirmières car en faisant progresser la position des infirmières nous améliorons la situation des femmes en général, ce qui permettra une meilleure éducation des femmes et une meilleure santé pour leurs familles et leurs communautés.

 

CONSEIL DES REPRÉSENTANTS DES ASSOCIATIONS NATIONALES

Ce congrès a été précédé, pendant deux jours, par la réunion du Conseil des représentantes des associations nationales d’infirmières (CRN). Cet organe directeur du CII se réunit tous les deux ans à l’occasion des conférences et des congrès du CII : 81 associations nationales infirmières y étaient présentes pour discuter des questions mondiales concernant la profession, les systèmes de santé et la santé des populations. La campagne Nursing Now a été approuvée tout comme la déclaration de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) proclamant l’année 2020 comme année internationale de l’infirmière et de la sage-femme afin de les positionner en tant que personnes essentielles pour relever les principaux défis en matière de santé mondiale.

Le CRN a lancé un appel aux gouvernements et aux employeurs pour :

• assurer une rémunération adéquate, juste et égale, y compris des salaires décents ;

• promouvoir des milieux de pratique professionnels sûrs et responsabilisés qui préviennent la violence au travail ;

• soutenir la réglementation des soins infirmiers axée sur la profession, y compris l’éducation standardisée, afin de protéger le public et d’améliorer la qualité des résultats pour les patients.

Pour atteindre ces objectifs, Annette Kennedy a déclaré : « L’objectif de la santé pour tous de l’OMS ne peut être réalisé que s’il y a suffisamment d’infirmières dûment formées et travaillant au bon endroit, au bon moment.

Le CII s’appliquera toujours à influer sur les politiques sociales, éducatives, économiques et de santé, pour tirer le meilleur des infirmières et veiller à ce qu’elles prodiguent à chacun les soins, les traitements et le confort qu’elles seules peuvent offrir. »

 

MODÈLEDE SOINS À SINGAPOUR

Lors de la session principale du premier jour sur les soins de santé centrés sur la personne, le professeur Chien Earn Lee, président-directeur général de l’hôpital Changi à Singapour, est intervenu sur le modèle singapourien des soins de santé centrés sur la personne et sa famille; et sur la façon dont il améliore la santé de la population locale. En effet, ce modèle va au-delà des examens relatifs aux maladies chroniques et s’étend aux risques de chute, aux fragilités et aux aspects fonctionnels, pour identifier les personnes âgées à risque, intégrer la prévention dans les soins primaires, intervenir rapidement et assurer le suivi à temps en créant des communautés de soins.

Passant de l’échelon national à l’échelon mondial, l’économiste de l’OMS Jeremy Lauer a évoqué l’investissement dans la santé sur la scène internationale. Pour lui, la contribution des personnels infirmiers à la santé – y compris les avantages sociaux et économiques plus larges qu’ils apportent –, est généralement sous-estimée. Il a insisté sur le fait que l’enseignement doit évoluer pour relever les défis de l’avenir, mais aussi pour réaliser les objectifs de développement durable liés à l’égalité des sexes, à la croissance économique intégratrice et à de meilleurs résultats de santé.

 

LEADERSHIP

Elizabeth Iro, infirmière en chef de l’OMS, a incité les infirmières à faire entendre leurs voix : « Prenez votre chaise à la table. Soyez acteur dans la prise de décision dans votre pays. »Une nouvelle initiative mondiale souhaite rassembler les employeurs du secteur de la santé pour positionner la prochaine génération d’infirmières et de sages-femmes en tant que praticiennes, porte-parole et leaders dans leur pays pour les questions de santé.

Le CII a lancé le Nightingale Challenge qui demande aux employeurs du monde entier d’assurer la formation au leadership de jeunes infirmières et sages-femmes afin de leur permettre d’acquérir de nouvelles compétences et expériences pour que la profession atteigne « de nouveaux sommets ». L’objectif est que 1 000 employeurs minimum forment au leadership, en 2020, au moins 20 000 infirmières et sages-femmes âgées de 35 ans et moins. Le Nightingale Challenge est l’occasion pour toutes les organisations participantes « de rejoindre un mouvement mondial ayant pour but de renforcer les soins infirmiers et la profession de sage-femme », a expliqué Lord Nigel Crisp, coprésident de la campagne Nursing Now [1].

Le directeur général de l’OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, a effectué une visite surprise lors de ce congrès, en marge du Sommet du G20 à Osaka au Japon. Il s’est adressé à l’ensemble des infirmières présentes en déclarant : « Il est temps d’aller au-delà des soins de santé pour aller vers la santé : les infirmières et les sages-femmes sont un élément essentiel de cette transformation pour diriger ce travail. » Il a souligné que plus de 50 % de la main-d’œuvre en santé est composée d’infirmières et de sages-femmes. « Votre contribution et votre impact sont énormes. Reconnaître les infirmières et les sages-femmes comme des membres clés du personnel de santé qui peuvent aider à réaliser le rêve de tout pays en termes de meilleure qualité d’échelle est un fait indiscutable. » Et de reprendre : « Vous êtes une force avec laquelle il faut compter et une force qui peut aider à la réalisation de la couverture de santé universelle. »

Dans son allocution, Kim Hwang-Sik, ancien Premier ministre de la République de Corée, a insisté sur l’importance du leadership politique en santé et sur la manière d’influencer la prise de décisions stratégiques. « Nous avons besoin d’un leadership comme celui de Florence Nightingale qui a persuadé les politiciens de bâtir un système de soins infirmiers qui permet aux patients d’être correctement pris en charge. » Président d’un comité international soutenant la candidature de deux infirmières autrichiennes, Marianne et Margaret, au prix Nobel de la paix, Kim Hwang-Sik a expliqué que ces dernières s’étaient rendues en Corée au début des années soixante pour y travailler aux côtés de personnes atteintes de la lèpre. Après leur départ, en 1971, de l’organisation caritative qui les employait, les deux infirmières sont restées en République de Corée, en tant que bénévoles pendant plus de quarante ans, œuvrant pour améliorer la santé

des personnes auxquelles elles prodiguaient leurs soins. La Korean Nurses Association fait actuellement circuler une pétition en soutien à la candidature de ces deux infirmières au prix Nobel de la paix [2].

 

EFFECTIFS ET SÉCURITÉ DES SOINS

Le lien étroit entre la dotation en personnel et la sécurité des patients a été souligné à de nombreuses reprises lors de ce congrès. La fidélisation des professionnels infirmiers est essentielle à la qualité des soins et de vie au travail mais ne peut exister sans un environnement de pratique favorable.

L’absence de fidélisation implique un turnover important, une migration vers d’autres pays où les environnements de soins et les conditions de travail sont plus favorables. Ces migrations génèrent des pénuries d’infirmières importantes dans différents pays. La sécurité des patients est indissociable de celle des infirmières qui les soignent. Il n’est pas possible d’augmenter sans cesse le nombre de patients dont une infirmière est responsable. La santé et le bien-être des infirmières sont également des facteurs essentiels du renforcement des systèmes de santé. Une main-d’œuvre infirmière motivée et en bonne santé peut améliorer les soins aux patients, faire baisser le turnover et réduire le niveau d’absentéisme, de stress et d’épuisement.

 

PRATIQUE AVANCÉE

La pratique avancée (PA) a été un véritable fil rouge du congrès. Elle a fait l’objet d’une présentation par Consuelo Cerón, doyenne de la faculté des sciences infirmières et obstétricales de l’université des Andes (Chili), et du Dr Melanie Rogers, présidente du Réseau des infirmières praticiennes et de pratique avancée du CII. Les conférencières ont donné un aperçu de la PA des soins infirmiers, y compris les obstacles et les défis liés au développement de rôles dans ce domaine. Elles ont ensuite présenté le travail du CII à cet égard, avant d’évoquer les succès enregistrés dans l’introduction de rôles de pratique infirmière avancée au Chili, grâce au travail en collaboration.

Lors de la séance du réseau du CII des infirmières praticiennes et des infirmiers en pratique avancée (IPA), un bilan dans le monde a été réalisé. Des résultats d’études ont montré comment la PA s’accroît et se met en œuvre à l’échelle mondiale. Développer des normes internationales sur la PA est essentiel mais il s'agit d'une tâche difficile car il existe beaucoup de nuances nationales dans ce domaine. Intégrer des activités jusqu’alors exclusivement attribuées au médecin, tout en gardant une perspective infirmière, est la base de l’exercice en PA. Il a été souligné que l'introduction de cette dernière dans un système de santé ne retire aucune prérogative aux autres professions de santé : il s’agit avant tout de créer un nouveau maillon dans l’offre de soins pour mieux servir la population. L’attribution d’un droit de prescription aux infirmières est un phénomène en pleine expansion mais il faut toutefois préciser que ce n’est pas uniquement le fait deprescrire qui caractérise la PA. Le métier socle infirmier est essentiel à un exercice en PA : l’approche globale du patient est une plus-value. Garder son identité professionnelle infirmière doit constituer une priorité pour toute IPA car c’est ce qui fait sa plus-value.

 

Un café politique et de sensibilisation été dédié à la PA pour en instaurer une approche cohérente et uniforme. Lors des échanges, il a été rappelé que le master est le niveau minimum requis pour les IPA. Il a été également mentionné que positionner les infirmiers de pratique avancée en premier recours dans la communauté et aux urgences est la clé de l’amélioration de l’accès aux soins pour la population et du désengorgement des urgences

 

Les IPA n’exercent pas dans une logique de substitution. Intégrer des activités jusqu’alors exclusivement attribuées au médecin tout en gardant une perspective infirmière est la base de l’exercice en PA.

 

LUTTER CONTRE LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS

Le dernier jour du congrès a été l’occasion d’évoquer le rôle clé des infirmières dans l’identification et la prévention de la traite des êtres humains.

Présidente du McCain Institute, coprésidente du comité de lutte contre la traite des êtres humains, créé par le gouverneur de l’État d’Arizona, Cindy McCain, veuve de John McCain, sénateur des États-Unis, a joué un rôle majeur dans la prise de conscience au sujet de la traite des êtres humains. Elle a prononcé un discours consacré à la prestation de soins compassionnels aux victimes et aux survivants de la traite des êtres humains.

Kevin Hyland, membre du groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, ancien commissaire indépendant chargé de la lutte contre l’esclavage au Royaume-Uni, a décrit la prévalence et la nature de la traite des êtres humains, avant d’insister sur le fait que la profession infirmière peut concevoir des stratégies pour identifier les victimes de la traite et renforcer la prévention

 

en tant que mesure de santé publique. Il a rappelé que plus de 151 millions de personnes dans le monde n’ont pas accès à l’éducation et que ce trafic représente une manne financière de 150 milliards par an.

Le CII, avec le soutien de la direction des ressources humaines de la Direction générale des services de la santé et de la Faculté des sciences infirmières et des sages-femmes, Collège royal des chirurgiens d’Irlande, a présenté un aide-mémoire destiné au personnel infirmier, intitulé “La traite des êtres humains. Ce que les infirmières doivent savoir”

 [3]. Le document décrit les types de traite, les signes auxquels prêter attention et les mesures à prendre en cas de soupçon de traite. Un récent rapport sur la traite des personnes publié par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) montre que si le nombre de condamnations pour des faits de traite est en augmentation, deux pays sur cinq couverts par le rapport n’avaient pas recensé la moindre condamnation [4].

 

 

 

INVESTIR DANS LES SOINS INFIRMIERS

Le Dr Jim Campbell, directeur du département du personnel de santé à l’OMS, a souligné les “3 D” essentiels à la fidélisation des professionnels infirmiers : des données fiables sur le phénomène ; un dialogue entre les parties prenantes et notamment avec les associations nationales infirmières pour utiliser ces données ; une décision d’apporter un changement, d’introduire un nouvel environnement politique et d’articuler le retour sur investissement.

Les pays ont besoin de données fiables sur le personnel de santé et de preuves tangibles, afin de savoir où et comment investir dans leurs effectifs et voir les effets systémiques comme les résultats de santé. Ces informations sont particulièrement importantes pour les infirmières et les sages-femmes, dans la mesure où ces pro fessions peuvent représenter plus de la moitié du personnel de santé du pays.

Le Dr Silvia Cassiani, conseillère régionale pour les personnels infirmiers et les techniciens de santé à l’Organisation panaméricaine de la santé/OMS, a décrit les orientations stratégiques pour les services infirmiers dans la région des Amériques. Ces orientations recommandent plusieurs mesures pour parvenir à la couverture sanitaire universelle, notamment le renforcement et la consolidation du leadership en soins infirmiers, de même que la transformation de la formation et de l’éducation des infirmières en collaboration avec le secteur éducatif Silvia Cassiani a rapporté que 81 % des infirmières de la région travaillent dans seulement trois pays – États-Unis, Canada et Cuba –, et qu’il existe des pays tels que le Honduras et la République dominicaine qui comptent moins de cinq infirmières pour 10 000 habitants.

L’enjeu essentiel de la réglementation des soins infirmiers dans un climat délicat, où le personnel infirmier s’internationalise et devient sans cesse plus mobile, a également été abordé lors du congrès du CII.

 

PERSPECTIVES

Durant ces cinq jours, les thématiques ont été riches et ont permis aux infirmières issues des différents pays de se retrouver et d’échanger sur des problématiques communes. Comme lors de chaque congrès du CII, tous les participants repartent avec une formidable énergie pour continuer à améliorer la qualité et la sécurité des soins dans leur pays d’origine et à valoriser la profession infirmière

 

Le prochain congrès du CII aura lieu à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis, du 5 au 9 juin 2021.n

Yasmina Ouharzoune, Directrice des revues professionnelles, rédactrice en chef

[1] https://www.nursingnow.org/nightingale/

[2] http://mm.kna.or.kr/

[3] https://www.icn.ch/sites/default/files/inline-files/AD4044%20Human%20Trafficking%20Pamphlet_FR%20400_1_1.pdf

[4] https://www.unodc.org/unodc/fr/press/releases/2019/January/le-trafic-dtres-humains--un-instrument-des-groupes-arms-pour-financer-leurs-activits-et-pour-augmenter-leurs-effectifs-_-le-rapport-de-lonudc.html

 

Source : https://www.em-consulte.com/article/1319546/article/actualites-professionnelles